Moi, je suis un meurtrier.

Le meurtrier de cet autre moi : celui qui était révolté contre tout et ne savait pas ce qu’il voulait. Il me méprisait parce que je sers les mains et tape dans le dos d’autres qui sont plus riches et plus chefs que moi.

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C’était un moi plein d’aspérités qui voulait marcher le long des dunes sans réfléchir et cherchait l’Amour. Moi, mon blackberry ne me laisse pas le temps d’aller à la mer. J’ai compris depuis longtemps que “l’Amour-toujours” est un concept réservé aux contes pour enfants. Je me suis mariée. J’ai des enfants élevés par des nounous.

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Au début, l’autre moi, il pleurait tout le temps ; ça finissait par me craqueler le sourire. Pour être honnête, je dois reconnaître qu’il distillait parfois ce petit baume du souvenir qui nous permet de surmonter les métros bondés, les engueulades futiles, les montagnes de repassage. Il me passait en vidéo privée : le chocolat en petits copeaux que Maman faisait tomber sur les tartines beurrées, les champs de neige sous la pleine lune, les chiots entassés en pile derrière une armoire…

On vieillissait, il devenait amer, surtout devant les couchers de soleil de vacances et les sourires en photomatons de mes enfants.

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Il ne voulait pas mourir. Il disait « je suis déjà mort ; je ne me reconnais plus ». Mais, moi, il m’empêchait de dormir. C’est pour ça que je l’ai tué.